Alternance présidentielle et culture démocratique réaffirmée au Ghana
Le 7 décembre, plus de 11 millions (sur un total de plus de 18 millions inscrits sur le fichier électoral) de Ghanéens se sont rendus aux urnes pour élire le président et les 276 membres du parlement. Ayant atteint la limite constitutionnelle de deux mandats, le président sortant Nana Akufo-Addo était inéligible. Selon les résultats provisoires, l’opposant et ancien président John Dramani Mahama du National Democratic Congress (NDC), a obtenu 56,55% des voix, score suffisant pour gagner dès le premier tour. D’ailleurs, le candidat du parti au pouvoir et vice-président Mahamudu Bawumia du New Patriotic Party (NPP), a reconnu sa défaite le lendemain des élections, avant même que la commission électorale n’en fasse l’annonce.
Le Ghana organise ses élections selon un système uninominal majoritaire à deux tours. Cela signifie qu’un candidat doit recueillir plus de 50% de voix pour être déclaré vainqueur des élections dès le premier tour. Le NDC a également remporté les élections législatives avec une victoire écrasante, obtenant 183 sièges sur 276, contre 73 sièges pour le NPP, ce qui lui assure une nette majorité au parlement. Cette victoire marque un retour historique pour John Dramani Mahama, faisant de lui le premier président de la quatrième République à reprendre la présidence après l’avoir perdu dans les urnes (en 2016).
Bien que 12 candidats soient en lice pour la présidence, seuls deux partis semblaient avoir des chances réalistes de l’emporter. En effet, depuis le rétablissement du multipartisme en 1992, les élections présidentielles et législatives ont systématiquement été dominées par les candidats du National Democratic Congress (NDC) de centre-gauche – fondé par l’ancien président Jerry Rawlings – et du New Patriotic Party (NPP) de centre-droit. Le premier a été au pouvoir de 1992 à 2000, puis de 2008 à 2016, tandis que le second a exercé la présidence de 2000 à 2008, puis de 2016 à aujourd’hui.
Le Ghana est reconnu comme un modèle de démocratie dans une sous-région marquée par l’instabilité politique et sécuritaire. Au cours des 32 dernières années, le pays a connu une série de scrutins serrés mais pacifiques. En 2008, par exemple, moins d’un demi-point de pourcentage séparait les deux candidats au second tour. Lors de l’élection qui s’est tenue quatre ans plus tard, le vainqueur, John Dramani Mahama, a franchi le seuil des 50% au premier tour avec moins de 80000 voix d’avance. Ce résultat a déclenché une plainte en justice de la part du NPP, qui a fait valoir que les feuilles de décompte de certains bureaux de vote avaient été falsifiées. Bien que cette contestation n’a pas abouti, elle a conduit la commission électorale à introduire de nouvelles mesures pour garantir une plus grande transparence du processus électoral dans le pays.
Les enjeux du scrutin et l’explication des résultats
Poursuivant la tendance mondiale au vote de protestation contre les gouvernements en place, les Ghanéens ont choisi un visage politique familier. En effet, John Dramani Mahama, 66 ans, fait son retour sur le devant de la scène politique du pays ouest africain après en avoir été le président de 2012 à 2016. Il convient de souligner que M. Mahama avait spectaculairement échoué à se faire réélire en 2016 contre Nana Akufo-Addo, avec ce qui était alors la plus grande défaite d’un président candidat à sa propre succession dans l’histoire post-indépendance du Ghana. Cet échec est survenu dans un contexte de scandales de corruption et d’une crise énergétique qui avait paralysé le pays. En outre, il a également été battu par le même candidat en 2020. De ce fait, on peut conclure que les résultats des élections de ce mois pourraient davantage refléter les frustrations à l’égard du parti au pouvoir, dirigé par le président sortant Nana Akufo-Addo, que la véritable popularité du président élu. En d’autres termes, sa victoire semble incarner plus le sentiment généralisé au Ghana en faveur d’un changement de leadership, quel qu’en soit le coût.
Au Ghana, les élections se gagnent et se perdent sur l’économie et l’emploi. Un récent sondage du réseau de recherche indépendant Afrobarometer indique que 82% des personnes interrogées ont déclaré que le pays était sur la mauvaise voie. Les Ghanéens se sont rendus aux urnes dans un contexte de pauvreté croissante et de coût de la vie élevé. Le pays reçoit actuellement une aide de 3 milliards de dollarsdu Fonds monétaire international (FMI). L’inflation, les allégations de corruption, le coût élevé de la vie et l’exploitation minière illégale rampante ont conduit à des manifestations au cours des deux dernières années.
Nana Akufo-Addo a été élu président en 2016 (puis réélu en 2020), suscitant de grandes attentes du peuple ghanéen. Dès son accession à la présidence, il a lancé et poursuivi des initiatives audacieuses, tant sur le plan national qu’international, visant à impulser un développement durable et à renforcer la position du Ghana sur la scène mondiale. Entre autres, “Ghana Beyond Aid” est devenu la logique centrale des interactions du pays avec ses partenaires bilatéraux et multilatéraux au niveau international. L’idée était de transformer l’économie ghanéenne, fondée sur la production et l’exportation de matières premières, en une économie basée sur l’industrie manufacturière et les services à haute valeur ajoutée. M. Akufo-Addo a défendu cette idée avec vigueur et l’un des signes de son succès a été la fin du soutien du Fonds monétaire international en 2019. A l’interne, le président a supprimé les frais de scolarité dans les établissements d’enseignement secondaire supérieur, ce qui a fait bondir le taux scolarisation des jeunes. De même, pour répondre au besoin d’emploi des (jeunes) ghanéens et assurer la stabilité du secteur financier, il a mis en place des politiques telles que 1District 1Factory – un plan d’industrialisation visant à promouvoir l’industrie manufacturière et à créer des emplois, l’assainissement du secteur bancaire, etc.
Cependant, le grand espoir suscité par l’arrivée de Nana Akufo-Addo au pouvoir en 2017 a rapidement laissé place à une profonde désillusion. Parmi les nombreuses critiques, la politique de gestion de la pandémie de COVID-19 a été marquée par des accusations de népotisme et de corruption. De plus, sous la direction du président et de son vice-président Mahamudu Bawumia (candidat malheureux du parti au pouvoir contre M. Mahama), l’économie ghanéenne a sombré dans sa plus grave crise en une génération en 2022. L’inflation a atteint un taux record de 54,1%, tandis que le défaut de paiement de la dette a contraint le Ghana à solliciter de nouveau l’aide du Fonds monétaire international, portant un coup fatal à la politique de « Ghana Beyond Aid », si chère au régime en place. Selon la Banque mondiale, 850000 Ghanéens auraient été basculé dans la pauvreté en 2022 en raison de la flambée des prix. Ces « nouveaux pauvres » sont venus s’ajouter aux six millions de personnes qui vivaient déjà dans la pauvreté. Le chômage des jeunes et l’exode des Ghanéens à la recherche de meilleures opportunités ailleurs ont également été des caractéristiques de ces dernières années. Enfin, l’impact dévastateur de l’exploitation minière illégale, connue sous le nom de « galamsey », sur l’environnement à l’échelle nationale, ainsi que d’autres promesses non tenues, illustrent de manière éclatante les échecs de Nana Akufo-Addo et, par extension, de son vice-président Mahamudu Bawumia. Il n’est donc guère surprenant que le parti et son porteur d’étendard aient perdu ces élections.
A quoi peut-on s’attendre du nouveau président pour le Ghana ?
Si les résultats de ces élections constituent un acte d’inculpation accablant pour le président sortant, ils offrent une occasion remarquable à John Dramani Mahama, le nouveau-ancien président du Ghana, de réécrire son héritage politique. Seul président à avoir échoué de se faire réélire après un seul mandat dans l’histoire politique du pays, les 56,55% des voix obtenues – la plus grande marge de victoire dans une élection ghanéenne depuis 1996 – lui donnent une chance de réparer cette image. Il promet de stimuler l’économie ghanéenne et de créer des emplois. Dans ce sens, sa (nouvelle) vision politique pour le pays, exposée dans son manifeste, est à la fois pragmatique et ambitieuse. En plus de promettre de créer des opportunités d’emploi dans des domaines émergents tels que l’agro-industrie, la technologie numérique et les énergies renouvelables, il propose également non seulement une « 24-hour economy », visant à stimuler l’activité économique du pays, mais aussi un « Agriculture for Economic Transformation Agenda » pour un secteur agricole moderne alimenté par la technologie et l’innovation.
Cependant, la question demeure de savoir comment ses programmes seront financés, au vu de la situation financière catastrophique du pays (paralysie économique, augmentation de la dette, manque d’investissements, etc.) et d’un environnement économique mondial postpandémique peu favorable aux investissements. Parallèlement, la population devient de plus en plus impatiente de retrouver un niveau de vie élevé et un coût de la vie abordable. En conséquence, face à l’ampleur de la tâche et aux puissants obstacles à surmonter, il reste à savoir comment, voire si, le président élu sera en mesure de maintenir le cap et d’influer sur le cours des événements. Comme il le reconnaitlui-même, cette victoire « nous rappelle constamment le sort qui nous attend si nous ne parvenons pas à répondre aux aspirations de notre peuple et si nous gouvernons avec arrogance ». Maintenant, les Ghanéens et le monde entier le regardent !